Campo santi Giovanni e Paolo : à la découverte d’un trésor caché de Venise

Campo santi Giovanni e Paolo : à la découverte d’un trésor caché de Venise

Le silence est rare à Venise, cette ville qui frémit jour et nuit sous les pas des amoureux, des photographes, des flâneurs, et de ceux qui la vivent pour la première fois. Mais il est un endroit où la lagune semble suspendre le temps : le Campo Santi Giovanni e Paolo. Située à l’écart des sentiers surfréquentés de la Sérénissime, cette place paisible est un splendide paradoxe à elle seule — à la fois monumentale et intime, majestueuse et discrète. Suivez-moi, c’est ici que commence une promenade vénitienne hors des clichés.

Un coin de Venise encore habité par l’âme des doges

Située dans le sestiere de Castello, à quelques pas des murmures touristiques du pont du Rialto et de la place Saint-Marc, le Campo Santi Giovanni e Paolo est à Venise ce que Montmartre est à Paris : un lieu chargé d’une autre atmosphère, plus profonde, comme si les pierres elles-mêmes s’attardaient à murmurer des souvenirs.

Ici, juste devant la basilique qui donne son nom au campo, se tient une place presque trop grande pour la ville. Et ce n’est pas un hasard : c’est ici que les doges de Venise étaient traditionnellement inhumés, dans la Basilique Santi Giovanni e Paolo, une église gothique impressionnante surnommée “le Panthéon des doges”. Le silence solennel qui baigne cet espace semble d’ailleurs encore nourri par les pas alentis d’ombres passées, que seuls les curieux peuvent encore sentir aujourd’hui.

Mais à la différence de la solennité que l’on pourrait attendre d’un panthéon, ici, l’âme des doges règne sans peser. L’endroit, baigné par le clapotis doux des canaux avoisinants, reste ouvert et lumineux, comme un sourire d’antan qu’on n’ose effacer.

Une place, trois merveilles

Ce qui fait le charme insaisissable du campo Santi Giovanni e Paolo, c’est sa capacité à réunir sur quelques mètres carrés trois trésors d’architecture et d’histoire.

  • La Basilique Santi Giovanni e Paolo, bien sûr : son imposante façade de briques accueille les visiteurs avec une sobre majesté. À l’intérieur, on découvre les tombeaux sculptés de vingt-cinq doges, des œuvres d’art de Bellini et Véronèse, ainsi qu’une lumière presque sacrée filtrant entre les colonnes. L’histoire de la République de Venise se lit ici en pierre et en silence.
  • La Scuola Grande di San Marco, juste à côté, qui abrite aujourd’hui l’hôpital civil. Sa façade, chef-d’œuvre de la Renaissance vénitienne, attire le regard par l’harmonie de ses perspectives et de son marbre rayonnant. Anecdote savoureuse : elle fut construite pour aider les miséreux… Le genre d’élégance dont seule Venise a le secret.
  • La statue équestre de Bartolomeo Colleoni, capitaine mercenaire au service de Venise, trône fièrement sur la place. Il paraît que sa dépouille repose à Bergame, mais c’est ici qu’il choisit d’être immortalisé. Sa posture altière et sa monture nerveuse sont signées Verrocchio — le maître de Léonard de Vinci. Rien que ça.
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Trois œuvres majeures, en un seul et même lieu, et pourtant tant de visiteurs passent à côté sans s’y arrêter. Avouez qu’il y a là matière à se sentir un peu privilégié.

Un lieu vivant… et vénitien

Mais ce qui fait vraiment battre le cœur du campo Santi Giovanni e Paolo, ce sont les petits moments du quotidien. Le bruissement discret d’une nappe qu’on secoue à une fenêtre. La cloche de l’église qui résonne doucement dans l’après-midi. Les galopades soudaines d’un enfant poursuivant une colombe (toujours plus futée que lui), le tout sous le regard tranquille d’un chat jaugeant les touristes du haut d’un muret.

Quelques bancs de pierre accueillent les grands-parents qui viennent lire ou simplement contempler. Un petit café au coin de la place — le Caffè Rosa Salva, vénérable institution — propose l’un des meilleurs spritz de la ville. À l’écart des flots touristiques, on peut ici s’asseoir et observer le bal délicat des habitants. Car oui, à Santi Giovanni e Paolo, la vie vénitienne existe encore. Et elle se vit au ralenti, loin de la frénésie des gondoles ultra-photogéniques.

Anecdotes savoureuses et détails inattendus

Ma première rencontre avec cette place remonte à un soir d’hiver. Il faisait froid mais sec, et la brume venait caresser la façade de l’église. Un vieil homme fredonnait un air d’opéra en fermant les volets d’un appartement majestueux sans être prétentieux. J’avais cette impression étrange et délicieuse d’être à la fois ailleurs et chez moi. Comme si Venise venait de me glisser un mot doux à l’oreille.

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Et il y a dans cette place un détail que j’aime tout particulièrement : une petite plaque sur un mur latéral, en l’honneur des médecins et soignants de Venise. Un clin d’œil moderne dans une ville pétrie d’histoire, preuve que Venise est aussi faite de mains qui aident et de cœurs qui battent, pas seulement de pierres vénérables.

Un peu plus loin, une passerelle mène à une enfilade d’habitations dont les fenêtres arborent encore les rideaux rouges typiques des foyers vénitiens. Rien ne semble organisé pour « faire joli » et c’est précisément cela qui touche : cette authenticité douce, cette beauté brute qui surgit sans (trop) chercher à séduire.

Comment y aller et mieux en profiter

Pour découvrir le Campo Santi Giovanni e Paolo sous son meilleur jour, préférez les premières heures du matin ou l’approche du crépuscule. Évitez si possible les samedis après-midi où quelques groupes guidés, bien que rares, peuvent troubler le calme du lieu.

Depuis le Rialto, il suffit d’une balade d’une quinzaine de minutes en traversant des ruelles animées et de petits ponts. Et si vous êtes déjà vers l’Arsenal ou les Giardini della Biennale, vous pouvez aussi bifurquer depuis Via Garibaldi. C’est une belle manière de faire durer la promenade et de goûter Venise sous des angles moins connus.

À noter : la basilique est ouverte généralement tous les jours, mais mieux vaut vérifier les horaires sur place (ils varient en fonction des périodes religieuses). La Scuola Grande de San Marco, même si aujourd’hui à vocation hospitalière, se visite partiellement pour découvrir la salle des trésors médicaux, un lieu étonnamment riche d’objets anciens et d’histoires oubliées.

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Un moment pour soi dans la Sérénissime

À Venise, tout est invitation à l’émerveillement. Mais certains lieux le font en chuchotant plutôt qu’en criant. Le Campo Santi Giovanni e Paolo appartient à cette deuxième catégorie. Il ne cherche pas à éblouir ; il préfère vous séduire doucement, avec ses reliefs d’histoire, sa lumière tamisée et sa tranquillité exceptionnelle.

Là, assis sur un banc en pierre, on pourrait presque entendre un gondolier fredonner à mi-voix, un enfant rire à demi, ou un doge murmurer que l’immortalité tient parfois simplement à une place, un mur, une voûte.

Et si c’était ça, finalement, le plus grand luxe d’un voyage ? Prendre le temps, découvrir l’insoupçonné, sentir battre le cœur d’un lieu que personne ne regarde vraiment mais que personne n’oublie jamais, une fois qu’il l’a trouvé.

Au détour de votre prochaine escapade vénitienne, glissez donc un détour par ce campo pas tout à fait comme les autres. Vous verrez… Le vrai trésor n’est pas toujours celui qu’on croit.