Il y a des chemins qui ne mènent nulle part, sinon à soi-même. Le Chemin de Saint-Guilhem-le-Désert est de ceux-là. Perdu entre causses arides, gorges escarpées et forêts enchantées, cet itinéraire de randonnée réveille des sensations oubliées. On y marche d’un pas ancien, à travers le temps, le silence… et parfois, la pluie obstinée d’un matin d’arrière-saison. Si vous cherchez un week-end d’air pur, de beauté brute et de spiritualité en sourdine, laissez-moi vous emmener sur ce sentier mythique, entre Aveyron et Hérault, entre pierres et lumière. Assurez vos lacets, on part ensemble…
Le Chemin de Saint-Guilhem-le-Désert : qu’est-ce que c’est, au juste ?
Officiellement, c’est un itinéraire de randonnée de 120 à 130 kilomètres, balisé, relativement fréquenté mais conservant une authenticité désarmante. Historiquement, il relie l’Abbaye de Gellone, fondée au IXe siècle par le fameux Guilhem, comte de Toulouse et saint à ses heures, au plateau de l’Aubrac, terre d’estive et d’émerveillement pastoral. Ce chemin, emprunté dès le Moyen Âge par les pèlerins, constitue un maillon entre les nombreuses routes vers Saint-Jacques-de-Compostelle.
Mais marcher vers Saint-Guilhem, ce n’est pas juste relier un point A à un point B. C’est traverser des paysages qui racontent une histoire — et se surprendre à l’écouter avec les yeux grand ouverts. C’est aussi affronter des montées qui se méritent et des descentes qui se savourent. Le genre d’aventure qui laisse plus qu’une trace GPS : une sensation de sérénité presque palpable.
Itinéraire : entre pierres blondes et ciel immense
Le parcours « classique » s’effectue généralement en 6 à 8 jours selon votre rythme et votre degré de contemplation.
- Aumont-Aubrac à Nasbinals : Premiers pas dans l’Aubrac, royaume des vaches au regard sage et des drailles silencieuses. On suit la Via Podensis avant de bifurquer. Un air d’altitude flotte déjà dans ce décor pastoral.
- Nasbinals à Saint-Chély-d’Aubrac : On contourne les lacs limpides et les burons endormis. Ici, même les pierres semblent avoir une mémoire. Une étape douce comme un fromage affiné sous la neige.
- Saint-Chély à La Canourgue : On quitte peu à peu les alpages pour les gorges profondes de la Lozère. La descente est raide, souvent technique. Ne pas sous-estimer cette section, surtout par temps humide.
- La Canourgue à Mont Aigoual : Attention, paysages grandioses au rendez-vous. On fend les Cévennes, on longe les crêtes. Et au sommet du Mont Aigoual, l’un des rares endroits où l’on peut encore voir les Pyrénées danser avec les Alpes.
- Enfin, Mont Aigoual à Saint-Guilhem-le-Désert : L’apothéose. On redescend vers les gorges de l’Hérault, flirtant avec les sentiers muletiers et les pierres dorées des villages suspendus. L’arrivée à Saint-Guilhem, au cœur d’un cirque minéral, frôle le spirituel.
Certaines variantes passent par le Causse Méjean ou l’abbaye de Sylvanès selon l’envie. Sachez que ce chemin se décline à la carte, et c’est aussi sa beauté.
Bien s’y préparer : équipement, période et bonne humeur
Un adage cévenol dit : « S’il pleut à Saint-Guilhem, autant bénir chaque goutte ». Cela vous donne une idée : le temps peut jouer des tours. Le printemps (mai-juin) et l’automne (septembre-octobre) offrent les conditions les plus clémentes, avec des températures douces et des lumières dorées à souhait. Attention cependant au brouillard en Aubrac, et aux orages capricieux sur les crêtes.
Voici quelques indispensables à glisser dans votre sac (et dans votre esprit) :
- Chaussures confortables, déjà rodées. Le chemin est beau mais parfois traître sous les feuilles mouillées.
- Veste imperméable, idéalement respirante. Vous me remercierez à La Canourgue.
- Couverture légère et vêtements chauds : les nuits peuvent être fraîches en altitude, même en juin.
- Bâtons de marche : ils sauvent les genoux en descente et servent de baguette magicienne quand on croise un vache curieuse.
- Carte papier + GPS ou appli de randonnée. Le balisage est bon… à condition de ne pas marcher en rêvant trop fort.
- Un carnet et un crayon, pour noter ces pensées étranges qui ne viennent que sous les étoiles ou après quatre jours de marche sans Wi-Fi.
Côté hébergement, gîtes d’étape, chambres d’hôtes et petits hôtels fleurissent autour du chemin. Pensez à réserver en haute saison, surtout si vous appréciez une couche molle et un repas chaud après 20 km à pied.
Savourer les rencontres et les haltes gastronomiques
Sur ce chemin, on ne croise pas que des marcheurs : on rencontre des hommes et des femmes qui vivent au rythme d’un autre temps. Un berger qui vous offre un morceau de tomme encore tiède de cave. Une vieille dame à Saint-André-de-Valborgne qui vous raconte l’histoire d’une croix de pierre oubliée. Ou ce couple de randonneurs suisses qui vous propose une rasade de gnôle « pour la descente ».
Du côté de l’assiette, le voyage est aussi sensuel :
- L’Aligot de l’Aubrac, ce plat ancestral mêlant purée et tome fraîche filante comme un bon souvenir.
- La fouace, petite brioche au parfum d’eau de fleur d’oranger, à tremper dans votre café noir du matin.
- Les pélardons des Cévennes, au goût affirmé, surtout quand dégustés sur une murette en pierres sèches, face à un coucher de soleil de feu.
Et quand vous penserez avoir tout goûté, un simple verre d’eau de source, glané à une fontaine moussue, vous rappellera qu’ici, même l’eau semble venir d’un autre monde.
Astuces de promeneur (presque) expérimenté
Après quelques escapades sur ce chemin, voici quelques conseils que j’aurais aimé recevoir avant le départ :
- Ne programmez pas trop : laissez des marges. Une pause imprévue dans un champ fleuri ou un détour par une chapelle oubliée peut apporter plus que tous les kilomètres prévus.
- Hydratez-vous tôt, mangez léger mais souvent. La pente a le chic de surgir où on l’attend le moins.
- Ne négligez pas les pauses longues. Lire un poème de Rimbaud dans l’ombre d’un chêne n’est pas incompatible avec une progression efficace.
- Marchez tôt le matin. Outre la lumière irréelle sur les sommets, cela écarte la chaleur et vous laisse toute l’après-midi pour admirer, dormir ou écrire.
Enfin, acceptez l’imprévu. Une entorse du programme est parfois le vrai début du voyage.
Saint-Guilhem-le-Désert : l’arrivée… ou un recommencement
Le village n’est pas un simple point final, c’est un havre, presque un murmure. Ses ruelles étroites, son abbaye doucement endormie sous les lianes et les chants grégoriens, ses artisans du calme… On comprend pourquoi ce lieu attire les âmes éprises de beauté et de silence. Même les cigales semblent y chanter plus doucement.
Si vous avez encore un peu d’énergie (et un petit goût de sucre à combler), poussez au-delà, vers le Pont du Diable ou les grottes de Clamouse. Et si vous êtes comme moi, vous reviendrez, peut-être par un autre bout du chemin. Car un itinéraire comme celui-ci, on n’en fait jamais vraiment le tour. Il vous suit, quelque part derrière l’oreille, longtemps après le retour.
Alors, chaussez vos rêveries, et laissez le chemin faire le reste.